L’empathie modifie le cerveau des enfants

L’empathie du professeur est un puissant levier de réussite scolaire, comme le montre Catherine Guéguen, qui s’appuie sur les travaux des neurosciences. Elle appelle à une formation des enseignants à la gestion des émotions : les leurs et celles des élèves.

Catherine Guéguen

Pédiatre spécialisée dans le soutien à la parentalité, Catherine Guéguen est l’auteure de Heureux d’apprendre à l’école. Comment les neurosciences affectives et sociales peuvent changer l’éducation (Les Arènes/Robert Laffont, 2018).

Vous insistez sur l’importance d’une attitude empathique de l’enseignant à l’égard de ses élèves. Comment se manifeste-t-elle ?

Un enseignant empathique est une personne qui va aider l’enfant à exprimer ce qu’il ressent en lui proposant tout un panel d’émotions : « Est-ce que tu es triste ? En colère ? Est-ce que tu te sens impuissant ? » Puis, il va s’efforcer de soulager les tensions de l’enfant et lui apporter du bien-être, ce qu’on appelle la sollicitude empathique (1). Ce peut être lui parler doucement, poser une main sur son épaule, lui caresser sa joue. C’est à chacun de décider jusqu’où il souhaite aller dans le contact avec l’enfant. Le contact physique chaleureux est précieux à l’épanouissement de tous.

Quelles sont les retombées positives d’une relation empathique sur l’élève ?

L’empathie que va recevoir un enfant va modifier en profondeur son cerveau affectif et intellectuel, les molécules qu’ils sécrètent, les neurones, la myéline, les structures cérébrales, l’expression de ses gènes… Cela va également favoriser ses capacités cognitives telles que sa compréhension, sa mémoire, ses apprentissages, sa motivation, sa créativité. En 2013, Timothy Curby, professeur à l’université George Mason en Virginie, et son équipe, mènent une recherche pendant 12 mois, sur 24 écoles et 181 enseignants de CE2 et CM1. Les auteurs constatent l’impact décisif de la qualité de la relation enseignant-élève sur la réussite scolaire. Les bénéfices sont multiples : meilleurs résultats scolaires, plus grande motivation des élèves, meilleure appréhension des mathématiques, augmentation de leurs compétences sociales, diminution des problèmes de comportement. En 2016, une équipe de recherche de l’université de Shanghai conduit une méta-analyse de 57 études portant sur 73 933 élèves. Celle-ci conclut qu’une relation positive, proche, affective de l’enseignant diminue les problèmes de comportement de ses élèves. Une recherche de 2012, menée au sein de l’université de Vienne, souligne qu’une relation proximale entre un enseignant et son élève permet à l’enfant de mieux réguler son stress et de diminuer le taux de cortisol salivaire. Et ainsi, de favoriser les apprentissages.

Cette attitude est-elle naturelle pour tous les adultes ?

L’empathie est innée chez tous les êtres humains. Et pourtant, beaucoup d’enseignants ne savent pas comment s’y prendre pour être empathiques. Pourquoi ? Car pour être empathique en tant qu’adulte, il faut soi-même avoir reçu de l’empathie étant enfant. Or, la plupart des enfants reçoivent des humiliations physiques et verbales – constat que dresse l’Unicef dans un rapport de 2014 (2) – qui viennent freiner le développement de leur empathie innée. Au point que seule une minorité d’adultes sont aujourd’hui naturellement empathiques. Il ne suffit donc pas de dire aux enseignants « Il faut être bienveillant et empathique avec vos élèves ! » (3) Ces injonctions plongent certains d’entre eux dans le désarroi car, s’ils souhaitent bien faire, ils ne savent pas toujours comment s’y prendre.

Pensez-vous qu’il soit nécessaire de former les enseignants à l’empathie ?

Oui. Car même si l’enseignant a lui-même reçu une éducation bienveillante et qu’il se conduit de manière naturellement empathique avec ses élèves, il ne saura pas forcément comment réagir à telle ou telle situation. Cela s’apprend. Il est nécessaire de développer leurs compétences socioémotionnelles, c’est-à-dire leur capacité à identifier les émotions qui les traversent, savoir les exprimer et les réguler, mais aussi de comprendre l’autre, l’écouter, coopérer, réagir aux situations conflictuelles.

De nombreuses études réalisées depuis une quinzaine d’années dans les pays européens, les pays nordiques, au Canada ou encore au Japon, se sont penchées sur l’impact spectaculaire de ce développement des compétences socioémotionnelles. J’ai été surprise d’apprendre que celles-ci permettaient aux enseignants de les protéger du burnout, de les rendre plus compétents, plus épanouis. L’enseignant qui aura développé ses propres compétences socioémotionnelles va pouvoir les transmettre à ses élèves. Dès la maternelle, les retombées sont positives. Les enfants s’épanouissent davantage, sont plus enclins à coopérer, à s’entraider. Ces compétences, liées à la réussite scolaire, favorisent également les préapprentissages de la lecture et de l’écriture. En 2012, un professeur en psychologie de l’université du Texas confirme dans le cadre d’une recherche que les interventions destinées aux enseignants pour leur permettre de réfléchir à leurs sentiments et à leurs comportements vis-à-vis des élèves augmentent leur capacité de répondre de façon sensible aux enfants et ainsi à diminuer les conflits au sein de la classe.

Chaque jour, dans nos écoles, des élèves continuent à être victimes de maltraitances émotionnelles, d’humiliations verbales. On leur fait honte, on les isole, on les dévalorise…

Oui, malheureusement. Dans le monde entier, des enfants sont victimes de maltraitances physiques à l’école, certains sont même torturés. C’est un tabou. En France, on ne retrouve « que » les humiliations verbales : « t’es nul, t’es bon à rien »« ce devoir est un vrai torchon »« je ne sais plus quoi faire de toi »« tu ne retiens rien, tu es une vraie passoire », etc. Auxquelles s’ajoutent les compétitions entre les élèves, les punitions, les menaces, les notes. Certains continuent de croire – à tort – que l’humiliation et les punitions peuvent faire progresser l’enfant. Bien au contraire ! Rapidement, ces enfants perdent confiance en eux, se marginalisent du groupe, souffrent et ne veulent plus aller à l’école.

Quel est l’impact de ces maltraitances invisibles ?

De nombreux chercheurs se sont penchés sur les répercussions des violences psychologiques. Ces maltraitances abîment les cerveaux des enfants. En 2014, Martin Teicher de Harvard étudie les conséquences de la maltraitance émotionnelle sur le cortex cérébral et les réseaux neuronaux de l’enfant. Un grand nombre de structures cérébrales (cortex préfrontal, amygdale, hippocampe, corps calleux etc.) et leurs circuits neuronaux sont altérés. Les enfants souffrent d’agressivité, d’anxiété, de dépression puis plus tard, à l’adolescence et à l’âge adulte, peuvent développer des comportements à risque (violence, addictions à l’alcool, aux drogues), des troubles dissociatifs (dépersonnalisation, troubles de l’identité) et des somatisations (manifestations corporelles d’un conflit psychique). D’autres études ont montré que ces maltraitances endommageaient également les circuits neuronaux qui sous-tendent la compréhension du langage. 

https://www.scienceshumaines.com/l-empathie-modifie-le-cerveau-des-enfants-entretien-avec-catherine-gueguen_fr_39317.html

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